Capter le silence dun couloir, écouter le silence. Laisser entrer le bruit du dehors au-dedans. Ecouter le bruit qui simmisce dans le silence. Approcher les matériaux, les découvrir, les regarder, y prêter une attention singulière. A chaque matériau.
Voir au-delà de la chose, des choses : ce qui leur donne matérialité, matière, réalité.
Prendre conscience, à nouveau, que tout ce qui nous entoure est constitué de matière.
La considérer, la reconsidérer comme matière première.
Réinvestir le monde par ce retour à la matière première.
Les choses, au-delà de leur diversité dans le monde, se rencontrent ainsi dans leur matière.
Ce nest pas les choses quelle veut regarder, toucher, sentir, écouter, cest leur matière.
Le voyage, quoffre-t-il ? Les choses, les objets, sont différents dun pays à lautre, mais les matières ?
Elle, cest Aminatou. Au plus loin que je me souvienne, elle a toujours porté un regard attentif sur les choses. Avant la caméra, il y a les yeux, le regard, mais aussi le geste au plus près de la matière.
Cest ce geste attentif quelle transmet.
Cest le regard sur le monde et le retour à la matière de ce monde, auxquels elle invite.
Le monde lui livre sa matière première et elle en fait des uvres.
Elle nous transmet ses uvres et le silence est alors bruyant, bruyant de sens.
Elle est française, assurément, mais elle ne fut jamais seulement Julie. Aminatou est le nom quelle a toujours porté et, par là, elle a toujours porté avec elle une autre culture, la culture de la différence. Ce prénom dAfrique noire a donné une couleur singulière à notre manière dhabiter la France, et finalement dhabiter le monde. Rendant naturel et nécessaire le déplacement. Ailleurs, dans un autre lieu.
Il y a eu dabord lItalie.
Il y a eu ensuite la Bolivie.
Aujourdhui, ce sont les terres dAsie Centrale qui lattirent.
Dire pourquoi cette géographie des attirances marque le parcours cinématographique dAminatou serait une tâche difficile. Essayer de comprendre pourquoi il sagit de ces terres-là en particulier le serait tout autant. Pourtant cette tâche serait nécessaire pour comprendre ce qui ne peut pas être chez elle une simple quête dexotisme ou, pourquoi pas, un simple goût pour le voyage et lailleurs. Il y a en effet bien plus à y trouver. Il ny a là presque aucun hasard ni aucun caprice. Chercher le sens dun tel parcours est donc difficile mais nécessaire.
Peut-être y a-t-il dans ce parcours la tentative de chercher un sens universel dans le cours des choses. Le cours des choses, des événements, en ce que cela a dhumain et en ce quil traverse lhomme. Mais, dans cette volonté de saisir le cours des choses, il y a le geste artistique qui choisit de capter les choses ville, événement, personne comme des corps qui se donnent au regard. Comme des matières qui traversent nos vies, qui font sens, qui doivent faire sens pour nous et auxquelles il faut prêter une attention particulière. Comme des corps que lon rencontre.
Aminatou part à la rencontre de ces corps. Aminatou filme les lieux, les espaces comme des corps. Aminatou en fait des portraits. Aminatou capte .
Ce sont donc des portraits, mais ce sont aussi des lettres qui constituent son uvre.
Cela signifie que ce sont des films qui parlent des hommes et qui sadressent aux hommes.
Et, dans le retour à la matière, ce geste attentif et adressé est éminemment esthétique.
Parce que ces films sadressent à la sensibilité.
Ils font trembler.
Or cest tant le silence bruyant, capté ici et là, que limage charnelle qui font trembler.
Cest le chemin parcouru et la saisie du cours des choses.
Cest le transport.
Cest le voyage.
Cest le décalage.
LItalie, parce que la langue était parlée et aimée, parce que la lumière y était belle, parce que lamour lui va bien.
La Bolivie, parce que lethnomusicologie ly a conduit. Là-bas des fanfares faisaient exulter la population dans un syncrétisme religieux imperturbable, indifférent aux circonstances politiques.
LAsie centrale, parce que la terre était inconnue et quAminatou désire ce quelle ne connaît pas.
Ce nest pas parce quelle ne connaissait pas cette terre quil y a un hasard à ce quelle lait choisie. Cest parce quelle ne le connaissait pas quelle y est allée. Par souci de découvrir ce qui nest pas connu, la différence, la matière, ailleurs. Pour y éprouver son regard et son esprit.
Evidemment quun cinéaste est en quête dimages et donc de choses à filmer. Mais derrière cette quête, il y a la recherche. Celle qui lanime, cest la mise à lépreuve de son regard, de notre regard. La volonté de se donner les moyens davoir encore un regard neuf sur les choses, de pouvoir être perturbé par ce quon voit, dérangé dans nos idées et dans nos sensations du monde.