Gens de Potosi , 43 minutes, 2004
Super 8 et Vidéo
Documentaire Expérimental
Autoproduction
Synopsis: Potosi, Bolivie, mois d'août. On se prépare autant à la fête de San Bartolomé qu'à des jours très noirs de crise sociale et politique. Nous sommes un mois avant l'octobre dénommé rouge de l'année 2003. Et Potosi, filmée comme un corps, avec ses gens, est traversé par la fête du Saint patron, par l'histoire. Et de sentir le battement de cette ville.
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Voir le film : Les films invisibles : Gens de Potosi
MANECI n°5, le journal des Ecrans Documentaires, 8 décembre 2004,
par Christophe Clavert
De notre art cinématographique, un vieux maître a dit un jour, il y a quelques
années : « De plus en plus, il faut faire des films fragmentaires ». Ce qu’il signifiait par là, c’est l’impossibilité d’atteindre une quelconque vérité sans laisser une place où la réalité, celle de la vie de tous les jours, puisse s’engouffrer dans le film.
Gens de Potosi évoque un pays lointain, la Bolivie et la vie d’une ville de ce pays. Potosi est cette ville. Sans exotisme – l’exotisme, la plaie du documentaire, dit un ami – le film nous entraîne dans un voyage à travers l’histoire, passée, présente et légendaire de la ville.
Qui sont ces gens de Potosi dont il est ici question ? Ce sont d’abord ceux dont plusieurs lettres à une amie étrangère - la réalisatrice - nous sont lues off au début du film et qui accompagnent un travelling qui nous mène à travers la montagne jusqu’à l’entrée de la ville : dans ces lettres, il est question de la situation économique et sociale catastrophique du pays, des manifestations des ouvriers et des paysans à Potosi, d’un éventuel exil vers un pays voisin. Puis ce sont ces deux voix off d’un homme et d’une femme, qui nous racontent de manière fragmentaire les légendes, les rites et l’histoire du lieu. Enfin ce sont ces passants, enfants, hommes, femmes, vieillards, manifestants, danseurs et danseuses, policiers, que l’on voit tout au long du film.
Le film est construit à partir de trois matériaux : le son (voix off et musique), des images vidéos et des images Super 8, souvent retravaillées, ralenties. L’écueil naturaliste qui gangrène une bonne part de la production documentaire est ici déjoué par l’utilisation de ces images hétérogènes qui, différemment, donnent à voir une même réalité, celle du lieu et de ses habitants.
C’est dans les entrelacs et les fragments de ces matériaux qu’on voit se dessiner l’image de la ville et de ses habitants, le passé ressurgissant dans le présent. Les voix évoquent tour à tour la fondation de Potosi par les espagnols après la découverte d’une mine d’argent en 1545, les esclaves apportés d’Afrique par ces mêmes Espagnols et qui faute de pouvoir travailler dans les mines à cause du froid ont été employés pour la fonte de l’argent et sa transformation en pièces, la magnificence de la ville (qui à une époque « était aussi riche que Paris…»), et la chute du cours des minéraux, étain, plomb (il n’y plus d’argent depuis longtemps), qui a plongé le pays dans une importante crise économique. Cela pour l’Histoire. Puis la Légende : celle de ce soldat nommé Bartolome qui, ayant déclaré aux habitants qui croyaient voir le diable dans un lieu proche de la ville : « Les seuls diables qui existent, ce sont des gens comme nous qui tuent et qui volent », avait lui-même rencontré le diable et l’ayant vaincu, il avait gagné d’être célébré chaque année. La fête, devenue l’une des plus grandes de Bolivie, l’a institué Saint Patron de la ville. Les superstitions enfin : celle qui veut que pour être riche il faille participer une fois l’an, à grands frais, à la fête en l’honneur de San Bartolome.
« La fête est là pour préserver la culture ancienne de Potosi » dit une des voix, après avoir révélé que beaucoup de gens s’endettaient pour pouvoir y participer. Ce que laisse sentir le film, sans didactisme aucun et par la simple confrontation des images et des discours, c’est que la fête préserve avant tout l’ordre d’une société de classes et de l’asservissement d’une partie de la population. Mais ce qu’il montre aussi et fait entendre, c’est la beauté de la fête, de sa musique, de ses chants, de ses danses – qui rythme le film comme elle rythme la vie des gens de Potosi – la beauté de ses danseurs et de ses danseuses, les visages réjouis des participants et des spectateurs. Et la tristesse, la gravité des visages des manifestants quand ils défilent, la violence des discours des leaders syndicaux. Une réalité contradictoire donc qui s’inscrit dans le film par la dualité des images (Super 8 et vidéo) et que semble particulièrement symboliser une figure du cortège de San Bartolome : un homme grimé en noir, les yeux entourés de blanc et habillé en bourgeois qui balance à bout de bras un bracelet d’or figure des esclaves enfin libres et riches. Alors, le jeu de ces processions semble repousser sans cesse à plus loin, dans un impossible miracle religieux ce que seule la révolte sociale serait en mesure de réaliser.
Avec une grande simplicité de moyens et une réelle dialectique du montage, le film nous raconte ainsi l’histoire de Potosi qui est aussi celle de la colonisation de l’Amérique par l’Europe du XVIème siècle et partant de toutes les colonisations. Et qui est l’histoire du capitalisme et des ruines successives qu’il a semé, qu’il sème et sèmera sur son passage.
Et l’on se prend à rêver d’un monde où la fête et la révolution sociale ne seront plus qu’une, du jour où les danseurs seront manifestants et où l’argent et la superstition feront pleurer.